Chronique de mai-juin 2017

Omission d’affiliation : l’incertitude des TASS

20.000 ! C’est le nombre de professionnels libéraux qui auraient été oubliés par la CIPAV et qui donc, sans le savoir, se retrouvent nus à l’âge de départ en retraite car dépourvus de trimestres de cotisations et de points de retraite.

Un vrai accident industriel que les TASS ont trop tendance à faire supporter à ces « omis ». Leur tort ? Ne pas avoir identifié la CIPAV comme étant leur caisse de retraite !

Mieux encore : ne pas avoir deviné quel montant de cotisations ils auraient du régler, sans recevoir le moindre appel de cotisations ! Car les cotisations sont « portables » et non « quérables », n’est-ce pas ? (en clair : nul n’est censé ignorer qu’il doit payer ses cotisations retraite)

Cette tendance doit être combattue avec des arguments pratiques et juridiques.

La CIPAV n’avait-elle pas reçu à l’origine une déclaration de création d’activité du professionnel libéral ? Concrètement, cette déclaration est faite au CFE (l’URSSAF la plupart du temps) qui la transmet à la CNAVPL qui la communique à la CIPAV. A quoi bon ce circuit administratif complexe si en bout de chaîne la CIPAV classe à la verticale – ne traite aucunement – la demande d’affiliation que recèle nécessairement cette déclaration de création d’activité ?

La CIPAV commet ainsi une première faute à ce stade.

Errare humanum est sed perserverare diabolicum. Car chaque année, ce même indépendant oublié de la CIPAV va déclarer ses revenus au RSI dans le cadre de sa DCR ou DSI (on s’y perd) – bref sa déclaration de revenus unique destinée à tous les organismes sociaux – sur laquelle la CIPAV, plutôt que d’identifier son adhérent, va détourner le regard ! Chaque année, la CIPAV a sous son nez la preuve de sa carence mais elle laisse filer !

L’omission d’affiliation ne constitue rien de plus qu’une erreur administrative d’un service public et doit être réparé en tant que tel, collectivement dans le cadre d’une réglementation réellement protectrice de reconstitution de carrière (inexistante en l’état) ou individuellement en justice par les TASS.

En considérer autrement revient à laisser sur le carreau des indépendants, la plupart du temps de bonne foi, qui ont eu le malheur de ne pas fouiner dans leurs multiples appels de cotisations pour déceler qu’ils ne disposaient d’aucune assurance vieillesse.

Si vous êtes conseil en gestion, d’aucuns pourraient se demander si vous n’avez pas profité de la situation car « pas d’affiliation = pas de cotisations à débourser ». Mais si la paperasse vous irrite dans le cadre de votre activité de maquettiste naval, de moniteur de ski, de psychologue, etc. alors, non, vous n’avez pas à rougir de ne pas avoir décelé que la CIPAV vous avait oublié !

A l’heure actuelle, la plupart des dossiers plaidés sur ce thème, uniquement en première instance, ont révélé l’embarras des TASS. Ils veulent bien annuler une contrainte dans un contexte d’omission (par exemple à Annecy ou à Paris) ou accorder des réductions de cotisations de retraite complémentaire (par exemple à Guéret) sur les cotisations appelées de manière rétroactive sur une période restreinte, mais ils apparaissent réfractaires à la reconstitution de carrière gratuite sur les années antérieures.
Ces dossiers « montent » en appel actuellement. Des affaires emblématiques seront plaidées néanmoins devant les TASS de Rennes et de Créteil en principe en juillet et gageons que les jugements à venir casseront cette logique de culpabilisation du professionnel indépendant.

Si la reconstitution gratuite de carrière est possible en justice pour les 6.500 adhérents de la CREA qui, sans le comprendre, ont cotisé sur un régime complémentaire à l’exclusion d’un régime de base (seul générateur de trimestres), pourquoi a fortiori la personne qui a accompli l’ensemble de ses obligations déclaratives ne bénéficierait-elle pas de la même solution réparatrice ?

La question est plus que jamais d’actualité car depuis mai 2017, sommée par la Cour des comptes de réagir sur cette question, la CIPAV affilie à tour de bras pour résorber ce chiffre de 20.000 personnes. Cela donne des choses assez cocasses, comme la notification d’une affiliation à mon voisin de bureau, également avocat et cotisant déjà à ce titre à la CNBF ! Toutefois les vrais oubliés sont apparemment retrouvés, ce qui montre que c’est bien un certain dilettantisme de la CIPAV qui était en cause par le passé.

Si vous êtes concernés par cette vague, vous avez reçu un courrier vous indiquant que vous êtes affiliés depuis le 1er janvier 2016 sous le régime forfaitaire du début d’activité (2016 étant la première année et 2017 étant la seconde).
Vous auriez aimé sans doute plus d’explications. Car cette fiction de début d’activité ne permet pas d’élucider les vraies questions :

  • pourquoi ai je été oublié ?
  • pourquoi ne pas me retracer les cotisations dues sur les 5 dernières années, sur la base de mes revenus réels, ce qui permettrait d’acquérir des droits à la retraite, même avec un paiement échelonné (les cotisations payées avec cinq années de retard ne créent plus de droits à la retraite selon une disposition réglementaire absurde dont la légalité sera un jour discutée) ?
  • pour la période remontant à plus de cinq années, pourquoi ne pas proposer une reconstitution gratuite en réparation de la carence de la caisse ?

Selon nous, la CIPAV s’affranchit de son obligation de conseil en voulant dissimuler sa propre carence. Elle a pris langue en amont avec des syndicats professionnels pour leur expliquer sa démarche en prenant manifestement un soin particulier à ne pas s’auto-incriminer. Cela pourrait être compréhensible pour un opérateur privé sur un marché quelconque mais apparaît choquant dans le cadre de l’exercice d’une mission de service public devant garantir à ses membres un droit au repos professionnel le moment venu.
Cette question de l’omission d’affiliation et de ses mesures réparatrices constitue ainsi un chantier judiciaire particulièrement sensible à suivre de près.

Dimitri Pincent
cipav.actionjudiciaire@pincent-avocats.com