La chronique du TASS - octobre 2018

La bataille des Auto-Entrepreneurs est lancée

Le terme « scandale » est utilisé à toutes les sauces à la seule évocation de l’acronyme « CIPAV » de sorte que tout dysfonctionnement, irrégularité ou simple problème de communication qui affecterait cet organisme prend une importance extrême et prête à tous les fantasmes. Le terme n’est en revanche sans doute pas galvaudé pour résumer la situation des 380.000 auto-entrepreneurs affiliés à cette caisse qui apparaissent comme un groupe professionnel entier objectivement brimé par la CIPAV. La chronique du TASS tomberait-elle soudainement dans le travers de l’exagération et d’un discours réducteur ? Je ne le crois pas à l’examen clinique du traitement passé et actuel réservé à ces indépendants.

La Cour des comptes avait parlé dès 2014 de « discrimination », ce qui sur un plan juridique est erroné mais résumait bien, dans le langage commun, la situation d’alors. A l’époque, alors que le statut existait depuis cinq années, la CIPAV faisait comme si elle ne connaissait pas les membres relevant de ce statut. Un psychologue exerçant comme professionnel libéral trouvait grâce aux yeux de la CIPAV mais le même psychologue ayant opté en faveur de l’autoentreprise était qualifié de « branleur » (sic) par le Président de la CIPAV d’alors Monsieur Jacques ESCOURROU, architecte libéral qui reconnaissait en même temps avoir eu recours dans son Cabinet de Mazamet à de jeunes architectes auto-entrepreneurs !

Comment s’exprimait cette ostracisation ?

De manière très simple : un auto-entrepreneur voulant consulter son relevé de situation individuelle (intitulé souvent « relevé de carrière ») ne pouvait pas avoir accès à ses droits à la retraite car la CIPAV n’en avait renseigné aucun (ni trimestre de cotisations ni points de retraite). Il a fallu attendre les années 2016 et 2017 pour qu’enfin la CIPAV renseigne les droits, sans doute de manière rétrospective. La CIPAV dévoilait alors son jeu et confirmait l’existence d’un scandale. Il est vrai que les 380.000 personnes concernées n’ont pour la plupart jamais décelé la difficulté, engagées qu’elles sont dans leur activité, par la nécessité de subvenir à ses besoins et de se développer. La future retraite n’est évidemment pas une priorité. Beaucoup pensent d’ailleurs qu’ils n’en bénéficieront tout simplement pas.

Il faut donc inlassablement informer pour que cette catégorie professionnelle – les auto-entrepreneurs exerçant une activité à caractère libéral – sache que leur caisse de retraite les a floués tout en tentant de rendre la manipulation clandestine.

Lorsque la CIPAV a renseigné rétrospectivement, certainement dans l’urgence, les huit années passées de droits, elle a divisé le nombre de points acquis chaque année par 2, 3 ou 4. Cela ne poserait pas de difficulté si l’auto-entrepreneur avait consenti à une réduction de droits dans le cadre d’un dispositif réglementaire encadrant une telle réduction à l’aune de seuils de revenus.

Or non seulement ce dispositif n’existe pas, mais encore aucun auto-entrepreneur parmi les 380.000 concernés n’a jamais demandé une réduction de ses droits. Chacun a payé à l’URSSAF une cotisation forfaitaire unique correspondant à un pourcentage de son chiffre d’affaires (22%) et ce paiement devait générer pour chacun une acquisition de 40 points par an jusqu’en 2012 et de 36 points après 2013.

Le résultat est simple : si vos points ont été divisés par 4 comme c’est souvent le cas, la pension de retraite complémentaire qui vous sera versée au moment du départ en retraite représentera un quart seulement de la pension à laquelle vous aviez normalement droit ! A l’automne 2018, la CIPAV semble aggraver son cas. Non contente d’avoir minoré fautivement les points de retraite complémentaire de tout professionnel libéral ayant travaillé sous le statut d’auto-entrepreneur entre 2009 et 2015, elle s’est remise à dissimuler les droits, cette fois sur les années 2016 et 2017.

Et les TASS dans tout cela ?

Et bien les TASS, ils font leur travail et ils rendent la justice, sans que ce terme soit non plus ici galvaudé. Le premier TASS à montrer la voie a été celui de Pontoise fin 2016 : rectification des droits d’un consultant et dommages-intérêts supplémentaires de 1.500 €.

Le TASS de Paris a ensuite condamné la CIPAV à verser 2.500 € de dommages-intérêts à une psychologue qui se plaignait de ne pas avoir accès à son relevé de situation individuelle. Quand elle a obtenu ce document, elle a fait condamner la CIPAV en mai 2018, au côté d’un autre plaignant, conseil en relations publiques, à rectifier ses droits (multipliés par 4) et à lui régler 1.500 € de dommages-intérêts outre 1.000 € de dédommagement de frais d’avocat. Peu avant, dans une décision assez médiatisée, la Cour d’appel de Versailles avait enfoncé le clou en confirmant point par point le jugement du TASS de Pontoise.

Les juridictions versaillaises apparaissent désormais en pointe dans cette affaire car la dernière décision émane du TASS de Versailles qui a condamné la CIPAV à multiplier par trois les points de retraite complémentaire d’un informaticien et à lui régler 6.000 € de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral lié à la minoration des droits et à leur dissimulation passée.

La CIPAV se moque manifestement de ces résultats judiciaires.

On peut finalement la comprendre : que pèsent quatre auto-entrepreneurs sur 380.000 ? La communication de la Caisse consiste même à éluder 3 cas sur 4 en expliquant aux médias qu’elle n’a été condamnée qu’une seule fois (par la Cour d’appel de Versailles). Que pèse donc un auto-entrepreneur sur 380.000 ? Secrètement, la Caisse se plaint à la Ministre Agnès BUZYN que cette affaire pourrait lui coûter un milliard d’euros, en suggérant que c’est l’Etat qui paiera l’addition.

Comment vaincre la discrétion de ce vrai scandale ?

Il nous a semblé que le meilleur moyen était d’organiser une avalanche d’actions judiciaires, en rendant l’action accessible financièrement, l’objectif recherché relevant certainement d’une mission de service public ou plus précisément du redressement du sens du service public qui est supposé animer les actions de la CIPAV.

Ainsi, ce mois d’octobre a vu éclore une plate forme de mandatement d’avocat en ligne pour un honoraire réduit à 50 € HT. Nous pensons que c’est l’unique moyen de rendre accessible aux auto-entrepreneurs la défense de leurs droits, qui passe nécessairement par un procès devant le TASS. Des procès sont aujourd’hui programmés à Lyon, Grenoble, Vannes, Rennes, Bobigny, Toulouse, etc. C’est uniquement par ce moyen de pression, la communication large et la pression financière pouvant résulter de condamnations multiples pour un nombre significatif de victimes, que celles-ci parviendront à vaincre l’obstruction mise par la CIPAV dans le respect de leurs droits.

Cette plate forme est accessible sur https://ae.pincent-avocats.com et s’enrichira progressivement des témoignages des plaignants, le but étant de former une communauté solidaire dans le cadre d’une « class action » à la française, dans ce domaine si singulier de la sécurité sociale, avec le soutien du Défenseur des droits Jacques TOUBON (qui a participé à toutes les actions judiciaires précitées).

Concrètement, nous recommandons aux victimes de ne pas attendre leur départ en retraite pour agir ni leur éventuelle sortie de la CIPAV en 2019. Au contraire, il vaut mieux confier à un professionnel la tâche de faire « nettoyer » dès maintenant son compte de points de retraite pour avoir la garantie d’un départ à la retraite empreint de sécurité et de prévisibilité. La majorité des plaignants actuels est toujours en activité, et parfois encore pour de longues années.

Si en moins de cinq années (disons avant le 31 décembre 2023), la CIPAV se retrouve contrainte de rectifier les points de retraite de la totalité des auto-entrepreneurs gérés un jour par elle, nous pourrons considérer que cette initiative est couronnée de succès, ce qui aura aussi pour mérite de montrer l’utilité des TASS.

Dimitri Pincent
cipav.actionjudiciaire@pincent-avocats.com