Invalides affiliés à la Cipav : la triple peine

Les affiliés de la Cipav sont maltraités, c’est maintenant de notoriété publique. Mais parmi eux, il y a des maltraités au superlatif : les artistes affiliés à l’IRCEC, les auto-entrepreneurs …. et les invalides ! C’est de ces derniers que nous allons parler ce mois-ci.

Vous êtes frappé-e par une maladie lourde, longue et invalidante, victime d’un accident professionnel ou autre et cotisants au régime invalidé/décès de la Cipav : pour vous, ce sera la triple peine !

Première peine : faire reconnaître et chiffrer votre incapacité

Il faudra soumettre votre cas au médecin conseil de la Caisse. Avant il faudra attendre que votre pathologie soit consolidée car, contrairement à la plupart des autres régimes et / ou des assurances privées, la CIPAV ne paie pas d'indemnités journalières. Pourquoi donc ? N'est-on pas dans le besoin quand on est incapable de travailler pendant de longs mois ?

Après une longue attente (des mois, voire des années), votre dossier vient enfin en haut de la pile. Ouf !
Mais vous êtes loin d’être sorti-e d’affaire car il vous reste à découvrir les pratiques étranges du medecin-expert de la Cipav. D’abord, contrairement à votre attente, elle ne vous reçoit pas. Ce médecin ne voit jamais ses patients en chair et en os, elle ne voit que leurs dossiers.

La suite est assez logique avec cette étrange pratique au regard du serment d’Hippocrate : pas d’examen clinique, pas de rapport d’expertise, le médecin conseil de la Cipav se contente de communiquer à la Cipav un chiffre sur une feuille : votre taux d’invalidité. Et ce, en se basant non pas sur les barèmes en vigueur dans le domaine, mais sur ses propres barèmes personnels, ainsi qu’elle l’a déclaré au médecin traitant d’un demandeur. Sur cette base, elle accomplit le petit exploit de déterminer l'invalidité professionnelle dans 330 professions traitées par la CIPAV sans jamais demander au demandeur l'impact de sa pathologie sur son exercice professionnel !!!

On mesure la toute puissance de cette personne sur votre destin, quand on sait que la Cipav suit ses recommandations à 97%, selon ce qu’a déclaré Jean-Pierre Espagne, président de la commission de recours amiable de la caisse à Médiapart le 17 février 2014 : « s’agissant des invalidités, la commission est dans 97% des cas une chambre d’enregistrement des décisions du médecin-conseil de la Caisse, un médecin indépendant »

Indépendante, le médecin-conseil ? De qui se moque-t-on quand on sait qu’elle est salariée à ¼ de temps de la Cipav ? Si on peut lui reconnaître une indépendance, c’est vis-à-vis de la déontologie médicale, comme l’ont attesté certains de ses confrères, comme le Dr X, chef de service de chirurgie digestive, expert près la Cour d’Appel et Président du Conseil de l’Ordre d’un département français qui a écrit dans une attestation :

... En qualité de chirurgien digestif, expert, et Président du Conseil de l’Ordre des médecins du Z, j’estime que le Dr E. D-C, a pratiqué de manière non conforme au code de déontologie, les expertises de Mr Y, qui ont été effectués sans examen clinique ni interrogatoire de ce dernier.

On trouvera la doctrine du conseil de l’ordre des médecins en matière d’expertise sur le site http://www.conseil-national.medecin.fr/..../Dommage_Corporel.pdf au point 2 - le médecin conseil d’assurances.

Deuxième peine : une indemnisation faible voire pas d’indemnisation du tout

Si le médecin conseil vous a décrété un taux d’incapacité inférieur à 66 %, vous ne toucherez rien du tout. Il faut avoir une pathologie très invalidante pour espérer toucher la pension pour laquelle vous aurez cotisé des années durant.

Si vous avez cotisé en classe A (76 euros en 2014), comme environ 70 % des affiliés à la Cipav vous recevrez mensuellement (net) 252 € à 66%, 305 € à 80 % et 343 € à 90 % d’invalidité. En classe C, ces chiffres seront respectivement de 1259, 1527, 1717 € pour une cotisation de 380 €.

Vous pensez en avoir fini ? Non : vous ne serez payé qu'après 6 mois de carence.
Qu'est-ce qui justifie ce délai de carence de 6 mois alors que vous avez déjà attendu la consolidation de votre pathologie ?

Troisième peine : vous avez de grandes chances de ne pas parvenir au bout de ce chemin de croix et de vous épuiser en démarches administratives, recours, contentieux …

Parce qu’avec des telles pratiques dissuasives – taux plancher élevé, pratiques dérogatoires du médecin conseil etc. – on ne sera pas étonné d’apprendre qu’il y a à la Cipav une proportion très faible d’invalides pensionnés : En 2010 il y avait 391 pensionnés au titre de l’invalidité pour 204 038 cotisants soit 0,19 % de la population considérée alors que dans la population active française ce pourcentage est de 3,28 % : un écart de 1 à plus de 17 !

Pourquoi un tel écart et de telles pratiques ?

Serait-ce que le régime prévoyance serait en péril, déficitaire, menacé à terme ?

On peut sérieusement en douter, car on constate en épluchant les comptes de la Cipav que les réserves de la prévoyance ces dernières années oscillaient autour de 15,5 années de prestations ! Très exactement 14,6 en 2011, 16,5 en 2012, 13,8 en 2013, 17 en 2014. Durant ces mêmes années, les prestations versées représentaient entre 39 % et 47 % des cotisations payées ? Pour mémoire, les réserves de la caisse du barreau représentaient environ 2,5 années de prestations ces années-là.

La direction et les administrateurs ont été saisis de toutes ces anomalies par deux associations en avril 2015 : ils n'ont obtenu aucune réponse et sinon une fuite en avant, avançant "qu'ils réfléchissaient à des prestations sur la dépendance" tout en reconnaissant qu'ils n'en connaissaient pas le périmètre et donc les coûts à court et long terme (sic).

Que fait donc la Cipav de l’argent des cotisants et pourquoi traite-t-elle aussi mal des personnes en grande difficulté?