L’honneur perdu des dirigeants de la CIPAV

Les affaires tumultueuses de la Cipav illustre à merveille le proverbe chinois, selon lequel le poisson pourrit par la tête. Faisons le point en ce début 2017, et un vœu pour qu’en cette année nouvelle, nous retrouvions, à la Cipav (et ailleurs) le chemin de cette « common decency » si chère à Georges Orwell !

Le 30 décembre 2016, la Cour de Discipline Budgétaire de la République a fait comparaître les anciens directeurs de la Cipav-groupe Berri, Jean-Marie Saunier et François Durin pour deux affaires : l’infraction aux marchés publics pour laquelle ils ont été condamnés une première fois par le TGI et l’affaire des remises occultes de majoration retard du président de la Cipav, M. Jacques Escourrou.

Pour le premier délit, les prévenus ayant été déjà condamnés, la Cour n’a pas jugé utile de les poursuivre une nouvelle fois. Elle a cependant utilement rappelé les faits, qu’il faut exposer pour nos lecteurs encore ignorants des pratiques de leur caisse de retraite. Le contexte de l’affaire est la commande et l’installation d’un nouveau système de gestion des régimes d’assurance vieillesse pour l’ensemble des caisses du groupe Berri, dit « refonte des applicatifs métiers ». Le devis initial de 2 083 228 € HT, en 2005 a été porté, par divers avenants, à un montant cumulé de 2 820 133 € HT en 2008. Le point délictueux concerne des prestations de services informatiques passés avec la SFEIR (en clair du personnel prestataire pour installer le système), sans appel d’offre, ni mise en concurrence, et ce malgré l’avis défavorable de la Commission consultative des marchés des organismes de sécurité sociale (CCMOSS). Cela faisait au total un montant de 6 588 592 € HT, donc une prestation 3 fois supérieur au marché initial. C’est comme si vous achetiez une machine à laver et que l’installateur vous facturait son travail 3 fois le prix de la machine.

Pour cette infraction aux règles du marché public, Ms Saunier et Durin ont été condamnés par le TGI de Paris à 2 mois de prison avec sursis et respectivement 15 000 et 12 000 € d’amende (partiellement assorties du sursis). Grâce à une dispense d’inscription des peines à son casier judiciaire accordé par le procureur, Mr Saunier a pu, tout tranquillement, conservé son poste de directeur de la Caisse Nationale d’Assurance Vieillesse des Professions Libérales.

Rappelons à nos lecteurs, que les dépenses liées à ce système informatique se sont finalement montées à 24 millions d’euros, selon le rapport de la Cour des Comptes de 2014 (et vraisemblablement à 50 millions). Et que ces coûts faramineux, financés par nos cotisations, ont servi à armer la machine infernale qui est aujourd’hui le principal instrument de maltraitance des adhérents de la Cipav, cotisants et retraités … Pour compléter le tableau, mentionnons l’affaire des chèques volés par centaines dans les locaux de la Cipav. La responsabilité personnelle de l’agent comptable ayant été mise en cause, il a été pécuniairement sanctionné par un arrêté de debet, c’est-à-dire condamné à rembourser la cipav sur ses deniers. Il est très probable qu’il ne s’est jamais acquitté de sa dette. Mieux : il s’est employé à faire payer une deuxième fois les cotisants lésés, lesquels se sont donc acquittés de sa dette. Il est toujours en poste à la Cipav. Chapeau l’artiste !

Le second délit épinglé par la Cour de discipline budgétaire porte sur des montants financièrement sans commune mesure, mais il nous donne un aperçu éloquent de la déliquescence morale dans le cercle dirigeant de la Cipav. M. Escourrou, président de la Cipav de 2005 à 2014, soit durant toute la période où son directeur jetait à tour de bras notre épargne retraite par la fenêtre, rechignait, quant à lui, à payer ses cotisations. De 2008 à 2012 (et probablement avant, mais jusqu’à 2007, les faits sont prescrits, comme le rappelle la Cour), M. Escourrou, architecte de son état, fléché à la tête du CA de la Cipav par le conseil de l’ordre de architectes, paie avec systématiquement un an de retard, voire plus, ses cotisations dues. Par exemple, les cotisations de 2011 (16 976 €), ne sont réglées que le 5 septembre 2013, et celles de 2012 (16 467 €) sont réglées le 6 janvier 2014. Dans un cas pareil, le cotisant lambda se voit appliquer sans délai des majorations de retard (5%, augmenté de 1,5% par trimestre écoulé supplémentaire). C’est même peut-être la seule application qui ne prenne pas en défaut le système informatique ! Mais dans le cas Escourrou, la première majoration retard n’intervient qu’en juin 2013 pour le reliquat de cotisation 2011 et un montant de 136,04 €, puis en janvier 2014, une MR de 2086 € pour les cotisations 2012. Et ce, sans qu’aucune décision de remise gracieuse n’ait été accordée formellement, comme c’est la règle, par le CA ou la commission de recours amiable. L’argument employé par la défense de M. Saunier fera hurler de rire tous les mis en demeure et poursuivis par voies d’huissier de la cipav : le système informatique de la caisse ne permettait pas de liquider automatiquement les majorations dues !!! On ne sait s’il a fait rigoler le juge, en tout cas, il ne l’a pas convaincu : Jean-Marie Saunier a été condamné à payer une amende de 500 € pour avoir « procuré à autrui un avantage injustifié, entraînant un préjudice pour le Trésor, la collectivité ou l’organisme … ».

Ce jugement ramène le projecteur sur M. Escourrou, triste président de la non moins triste Cipav. Après ces hauts faits que nous venons d’énumérer - et d’autres : il s’est par exemple distingué en insultant publiquement les auto-entrepreneurs - M. Escourrou a pris une retraite bien méritée, sinon professionnelle, du moins de sa présidence. Mais, narguant comme à son habitude le sens commun de la décence, il s’est fait nommer, le 25 mars 2015, « président honoraire » de la Cipav. Une telle nomination en dit long sur le sens de l’honneur du cercle dirigeant de la caisse. Quelques courageux adhérents ont attaqué cette décision en justice, et le 16 juillet 2016, le TGI de Paris annulait cette décision.

On peut regretter qu’il ait fallu encombrer la justice avec une telle affaire, car les autorités de tutelle auraient normalement dû jouer leur rôle de garde-fou. Cependant en cette matière, comme en quasiment tout ce qui concerne la Cipav, la tutelle est muette. La ministre des Affaires Sociales, sollicitée pour donner son avis dans la procédure de la cour de discipline, n’a pas jugé bon de le faire. Elle est restée de marbre également devant les exactions commises par le président du CA et le directeur à l’encontre des administrateurs qui osent élever une voix critique en conseil d’administration, comme elle n’a jamais rien trouvé à redire aux dépenses aussi somptuaires que toxiques des susdits.

Et Jean-Marie Saunier, deux fois condamnés, au pénal et au disciplinaire, est toujours directeur de la CNAVPL …