Chronique de mars-avril 2017

320.000 auto-entrepreneurs spoliés : le TASS de Pontoise défie la CIPAV et l’Etat

Dans un jugement de ce début d’année, le TASS de Pontoise vient de concrétiser judiciairement, pour un auto-entrepreneur libéral, la recommandation de la Cour des comptes de rétablir les droits à la retraite de cette catégorie professionnelle.

Un premier signal avait été donné par les sages de la rue Cambon dans leur rapport annuel de 2014. Trois ans plus tard, le rapport annuel 2017 s’est fait plus comminatoire sur ce sujet (p. 427).

Or au même moment le TASS de Pontoise sanctionnait la CIPAV en déplorant une minoration injustifiée par la CIPAV des points de retraite complémentaire d’un auto-entrepreneur.

Le TASS estime comme la Cour des comptes que c’est de manière arbitraire que la CIPAV avait réduit les points de retraite complémentaire d’un auto-entrepreneur à 68 quand il pouvait prétendre à… 192 points !

En substance, la CIPAV a appliqué unilatéralement à la totalité des auto-entrepreneurs, en dehors de toute prévision de la loi, du règlement ou de ses statuts, une réduction de points de retraite complémentaire de 25%, 50% ou 75%.

Avec exécution provisoire et sous astreinte, le TASS de Pontoise ordonne la rectification des points de retraite complémentaire et le paiement des arrérages de pension de retraite complémentaire correspondants, outre 1.500 € de dommages-intérêts.

Le même auto-entrepreneur avait obtenu dans un premier jugement 10.000 € de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par les conditions erratiques de la liquidation de ses pensions de retraite.

Le gain financier dans ce dossier peut être estimé à 25.000 € :

  • récupération de 124 points de retraite complémentaire sur 5 années cotisées soit un capital de retraite supplémentaire de 7.500 € en retenant une pension servie pendant 23 ans,
  • 11.500 € de dommages-intérêts en réparation des conditions de la liquidation des pensions et de la minoration de la pension de retraite complémentaire,
  • 6.000 € d’indemnité de procédure.

Très certainement la CIPAV va faire appel du second jugement (le premier est en revanche définitif : condamnation à 10.000 € de dommages-intérêts et 2.500 € d’indemnité de procédure).

Très certainement aussi l’Etat – représentée par la Direction de la sécurité sociale – va soutenir la CIPAV dans ce dossier judiciaire pour éviter de devoir compenser financièrement un delta de pension de retraite complémentaire non financée (ni par la cotisation forfaitaire payée par l’auto-entrepreneur à l’URSSAF ni par la compensation de l’Etat en vigueur jusqu’en 2016) qui, rapporté à 320.000 personnes, pourrait représenter 2,4 milliards d’euros.

Pour ne pas bourse délier, la Direction de la sécurité sociale a publiquement choisi son camp. Elle était bien silencieuse auparavant sur cette question mais elle s’est opposée en ce début d’année au constat de la Cour des comptes. L’Etat a ni plus ni moins décidé de saquer les auto-entrepreneurs en estimant qu’ils ne méritent pas plus de 9 points de retraite complémentaire par an.

Est-ce bien sérieux ? En premier lieu, une lecture littérale des textes conduit à accorder 36 points de retraite complémentaire par an à l’auto-entrepreneur (40 par an entre 2010 et 2012). En second lieu, l’Etat tente de défendre la position de la CIPAV mais, apparemment sans s’en rendre compte, la travestit. Le Ministre explique en effet que tous les auto-entrepreneurs doivent subir une réduction de 75% de points quand la CIPAV en fait applique de manière peu lisible des réductions évolutives, de 25%, 50% ou 75%.

L’association CIPAV SoS Adhérents, en collaboration avec le Cabinet d’avocats PINCENT Avocats a choisi d’aider les auto-entrepreneurs en mettant à leur disposition un modèle de recours amiable. Tout auto-entrepreneur ayant gagné plus de 2.000 € par an (200 fois le SMIC horaire pour être plus précis) peut l’utiliser.

En l’absence de réponse de la Commission de recours amiable, l’auto-entrepreneur pourra demander en justice la rectification de ses points de retraite complémentaire.

Si l’auto-entrepreneur veut vérifier que ses droits à la retraite sont effectivement tronqués, c’est très simple. Il lui suffit d’ouvrir un compte sur https://www.info-retraite.fr/portail-info/home.html et de demander en ligne son « relevé de carrière ». En dernière page, le relevé de la CIPAV fera figurer les points de retraite complémentaire acquis année par année. Nous pouvons vous prédire qu’ils seront de 9, 18 ou 27. Au lieu de 36, 36 et encore 36.

Les auto-entrepreneurs libéraux sont aujourd’hui plus de 320.000.

Dans cette affaire, les pouvoirs publics comptent sur leur désinformation et leur inertie.

Désormais, cette catégorie professionnelle sait que les TASS sont en mesure de faire rectifier leurs droits à la retraite déjà si faibles qu’il deviendrait indécent de les laisser en l’état tronqués.

Dimitri Pincent
cipav.actionjudiciaire@pincent-avocats.com