La chronique du TASS - 1er trimestre 2019

Omissions d’affiliation - bilan d’étape

Dans la chronique de mai-juin 2017 (déjà deux années !), nous abordions la question de l’omission d’affiliation. Aujourd’hui, il est sans doute l’heure d’effectuer un bilan d’étape.

Avant toute chose, il faut comprendre que les omissions sont de différentes sortes.

Nous avons d’abord les omissions partielles, à distinguer des omissions totales.

Les omissions partielles concernent les 6.500 personnes affiliées à la CREA – caisse disparue en 2004 – qui n’étaient pas inscrites au régime de retraite de base mais uniquement au régime de retraite complémentaire, à leur insu. Cette situation était indécelable tant la CREA entretenait la confusion entre les différents régimes de retraite qu’elle gérait. La décision de référence en la matière – même si elle est perfectible sur plusieurs aspects – a été rendue par la Cour d’appel de Paris en date du 2 février 2017. Elle condamne la CIPAV, qui a succédé à la CREA, à reconstituer l’entièreté de la carrière, en trimestres et en points de retraite de base. Cela représentait une trentaine d’années de carrière. En fait toute la carrière de la personne concernée.

Dans les omissions totales, certaines sont d’« Etat » : comprendre que l’Etat y est manifestement pour quelque chose. C’est le cas de professions entières, considérées comme nouvelles à un moment donné, que la CNAVPL, sans doute mal orientée par la Direction de la Sécurité Sociale (DSS du Ministère), a refusé d’affilier au motif que leur profession ne figurait pas sur une fichue liste qui n’a manifestement pas d’existence légale. Ainsi, les ostéopathes, lorsque cette profession a émergé, ont pendant longtemps été privés de caisse de retraite car absents de la liste. La plupart ont vu leur situation régularisée, mais pour le futur - ce qui laisse des années de droits perdues, souvent difficiles à gérer à l’orée de la retraite. Aussi bizarre que cela puisse paraître, le contentieux en la matière est proche de 0 et les syndicats professionnels concernés semblent s’être endormis sur le dossier quand ils n’ont pas endormi leurs adhérents pour ne surtout pas froisser les institutions.

Les autres omissions totales ne résultent pas d’une intention maligne de la CIPAV mais de négligences de sa part qui s’expliquent vraisemblablement par la faiblesse de son SI (système d’information). Les chiffres font un peu peur : plus de 20.000 personnes ont été oubliées par la CIPAV. C’est le chiffre en tout cas que la Cour des comptes livrait dans son rapport 2017. Depuis, la CIPAV a rattrapé un certain nombre de personnes, par vagues, en simulant un début d’activité récent - par exemple en 2016 quand le professionnel avait démarré son activité dix ans plus tôt.

Face à une telle situation, il y a deux manières de réagir : celle de l’autruche ou celle du renard.

L’autruche aurait tendance à ne pas faire de vagues, ne rien régler du tout ou régler uniquement l’année réclamée et celles à venir, en se réjouissant de ne pas avoir réglé de cotisations avant. Ce n’est pas du tout malin car, d’une situation de victime, le professionnel passe au statut de filou, en pensant avoir fait des économies. Vous l’avez compris : cette attitude ne résout pas le problème des droits antérieurs qui resteront dans la case « néant » et ce comportement fait obstacle, moralement parlant, à une procédure judiciaire qui chercherait à engager la responsabilité de la CIPAV afin d’obtenir la reconstitution de carrière pour le passé.

Le renard aura tendance à protester sainement auprès de la CIPAV. Pour obtenir ce statut de renard, mieux vaut faire appel à un avocat maîtrisant le sujet et rapidement, lorsque la CIPAV sort du bois. La démonstration de la bonne foi au juge, qui sera ensuite saisi, a un prix : l’intéressé doit montrer que lorsque la CIPAV le retrouve, il est disposé à régler ses cotisations. Jusqu’à quelle date ? Nous recommandons de remonter le plus loin possible, en restant dans la limite des cinq années antérieures car le paiement de cotisations plus anciennes ne génère pas de droits. Evidement, cela dépend des capacités financières de chacun et il est rarissime d’avoir un adhérent qui parvienne à régler ces cinq années de cotisations. Au moins, si le professionnel arrive à régler l’année en cours et l’année antérieure, c’est déjà une avancée. Et il doit s’engager pour les cotisations à venir. La personne qui refuserait de régler les cotisations futures (bien calculées évidemment), comme tout indépendant, n’ira pas au procès avec nous. C’est la crédibilité du client et de son avocat devant le Tribunal qui sont ici en jeu. En cas de décision favorable du Tribunal, la reconstitution de carrière gratuite portera sur toutes les années non réglées.

De bonnes décisions ont été obtenues, pour l’instant essentiellement devant les TASS :

  • Le 4 octobre 2017, le TASS de Créteil a retenu la faute de la CIPAV dans une omission complète, ordonné une reconstitution de carrière sur la période 2003-2010 et accordé une indemnisation supplémentaire de 5.000 € au titre du préjudice moral, sans compter le dédommagement des frais d’avocat.
  • Le TASS de Paris, dans deux formations différentes, a statué dans deux dossiers, le 11 septembre 2018 et le 15 avril 2019. La première décision ordonne la reconstitution des premières années d’activité, à savoir 2007-2012 et ajoute 5.000 € également de dommages-intérêts. La seconde portait sur une seule année omise (2012) et, là encore, la reconstitution de droits est accordée après reconnaissance d’une faute de la CIPAV, qu’on peut qualifier d’administrative, et un dédommagement de 1.000 € au titre du préjudice moral est accordé.
  • Dans une décision remarquée, le TASS de Nice a, en date du 31 décembre 2018, reconnu aussi une faute de la CIPAV et ordonné la reconstitution de carrière sur la période 2006-2012.
  • Le TASS de Rennes s’était montré plus frileux dans un dossier d’omission en retenant que l’intéressé aurait dû régler spontanément des cotisations qui n’étaient pourtant pas appelées et qu’il aurait dû déceler lui-même l’anomalie. Une application stricte du principe « les cotisations sont portables et non quérables ». Un dossier perdu que nous tentons de faire rectifier devant la Cour d’appel de Rennes.

Les dossiers se régleront au niveau de ces Cours d’appel : Paris, Aix en Provence et Rennes pour l’instant.

Une voie alternative existe.

Pour les professionnels qui étaient assistés d’un comptable, si ce dernier était chargé de l’analyse périodique des dépenses (par exemple pour calculer la TVA), de l’établissement de la déclaration 2035 (BNC) et de la déclaration annuelle des revenus du dirigeant faisant figurer tant les cotisations sociales obligatoires que les cotisations sociales facultatives, alors le comptable aurait dû déceler l’absence de cotisations d’assurance vieillesse. Comment expliquer qu’un comptable ne s’aperçoive pas de l’absence d’appels de cotisations de la CIPAV si ce n’est par une forme d’insuffisance professionnelle et donc d’une faute ?

Le 7 mai 2019, le Tribunal de Grande Instance de Nanterre a retenu la responsabilité d’un comptable dans une omission au régime d’assurance vieillesse et ordonné une expertise pour le chiffrage du préjudice.

Ce type d’actions a un avantage qui tient à la présence d’un assureur responsabilité civile professionnelle venant garantir le paiement des éventuelles condamnations ou favorisant éventuellement un accord amiable.

Le gros défaut réside tout de même dans l’approximation du préjudice. Car quand la CIPAV est condamnée, elle l’est comme une caisse de retraite, ce que n’est pas le comptable ni son assureur. Elle est condamnée à faire son travail, en rendant gratuites les cotisations auparavant éludées, avec création de droits à la retraite en dépit de l’ancienneté de la période concernée. Grâce à cette réparation, les pensions de retraite dues seront versées comme il se doit, jusqu’au décès de l’intéressé. La reconstitution est ainsi parfaite.

Or, sur le terrain de la responsabilité du comptable, la compensation accordée correspond à une fiction, qui se calcule d’ailleurs avec moult difficultés, puisqu’il s’agit d’une somme en capital correspondant à la perte des droits à la retraite projetée sur une espérance de vie en fonction d’une table de mortalité. Une expertise judiciaire est souvent ordonnée d’ailleurs pour procéder à ce chiffrage peu satisfaisant intellectuellement car il y a peu de chances qu’il corresponde à la perte réelle de pensions. Les situations de polypensionnés sont délicates et nécessitent le recours à un actuaire en assurances, soit dans un cadre d’expertise judiciaire soit par une expertise privée.

En tout cas, les solutions judiciaires existent.

Elles sont fastidieuses et non garanties dans leur résultat mais elles valent très certainement le coup vu les enjeux humains et financiers en cause.