Chronique de février 2016

Retour sur le Noël de la CIPAV au TASS d’Evry

Si vous avez eu le malheur au 31 décembre 2015 de cesser votre activité indépendante en pleine déconfiture et avez été pris d’apoplexie en recevant un appel de cotisations de retraite complémentaire de la CIPAV pour la modique somme de 15.776 € (en classe H ou 13.349 € en classe F) malgré le déficit que vous avez accusé sur cette dernière année d’activité que vous voudriez oublier rapidement, il ne sert à rien de croire à un canular.

Simplement vous n’aurez été qu’un énième cas d’application de la règle défendue par la CIPAV selon laquelle les cotisations de retraite complémentaire sont appelées à titre provisionnel par référence à l’année N-2 (la classe F correspond ainsi à une tranche de revenus élevés entre 83.061 € et 103.180 € sur l’année 2013) et ne sont jamais, mais alors jamais, ré-gu-la-ri-sées.

Pour le TASS d’Evry, cette règle ne heurte pas seulement le bon sens mais le droit. Ce n’est pas du tout l’avis du TASS de Nanterre. Au même moment, celui-ci épousait la cause de la CIPAV au motif imparable juridiquement (et avancé avec une distinction laissant tout « tasseux » groggy) selon lequel « le guide papier de la CIPAV est d’une clarté inégalée dans le monde des caisses de retraite » (pas de problème donc en cas de contrariété du guide avec la loi, pourvu qu’il soit clair !).

Il s’avère que le Code de la sécurité sociale comporte une disposition législative prévoyant, s’agissant du régime de retraite de base, le principe d’un appel provisionnel, puis d’une régularisation sur la base du revenu réel lorsqu’il est connu. Comparaison n’est pas raison mais tout locataire connaît cela avec ses provisions sur charges mensuelles et sa régularisation annuelle sur la base des charges récupérables réelles.

Cette disposition légale peut-être elle retenue comme un principe général de droit de la sécurité sociale répondant tout à la fois à un impératif de justice sociale et de protection du droit de la propriété prohibant les confiscations ? Quiconque se voit réclamer la modique somme de 15.000 € au titre d’une année où il n’a pas gagné un centime vous soulignera sans nul doute son sentiment d’être quelque peu « volé » avec des termes prosaïques que nous excuserons bien volontiers vu le contexte.

Le TASS d’Evry estime que le leitmotiv de la CIPAV – les cotisations de retraite complémentaire ne sont pas régularisables – pose effectivement un léger souci juridique en plus d’un fort goût amer d’injustice.

En juillet 2014, la Cour de Cassation a condamné le RSI (que des esprits sans doute mal intentionnés vous décriront comme le frère aîné déviant de la CIPAV) à régulariser ses cotisations de retraite complémentaire sur la base des revenus connus de ses adhérents artisans et commerçants. Quelques mois plus tard, la CIPAV s’est vu indiquer par cette même Cour de Cassation que ses cotisations (sans dire précisément lesquelles) devaient être régularisées. Pour la CIPAV, « ses cotisations » font référence uniquement aux cotisations de retraite de base instituées par la loi. Pour les contestataires que nous sommes, que la discrimination révulse, il n’y a pas de raison de rendre intouchables ces cotisations de retraite complémentaire, modestement instituées par décret (en 1979) en mettant sur un piédestal immérité les cotisations de retraite de base prévues par la Loi.

Le TASS d’Evry retient avec force de conviction que là où la loi et la Cour de Cassation ne distinguent pas, il n’y a pas lieu de distinguer selon un adage immémorial. Et d’estimer que les cotisations de retraite complémentaire peuvent être appelées à titre provisionnel pourvu qu’elles fassent ensuite l’objet d’une régularisation (qui peut d’ailleurs être défavorable à l’adhérent dont les revenus ont augmenté), à l’instar de la cotisation de retraite de base.

Preuve que le TASS peut briller de malice, celui d’Evry n’a pas manqué de relever que la CIPAV s’enorgueillissait en off, dans un très récent procès-verbal de Conseil d’administration qu’elle s’interdit de diffuser à quiconque (horreur et damnation, imaginez qu’un affilié obligatoire et, pire, son avocat, puissent le lire !), d’aligner les règles d’appel de cotisations de retraite complémentaire sur celles de retraite de base, à compter du 1er janvier 2016. Les adhérents ne l’ont pas encore constaté mais qui sait peut-être auront-il la satisfaction de se voir régulariser en 2016 leur cotisation de retraite complémentaire 2014 ?

Nous verrons dans une prochaine chronique si la Cour d’appel de Paris partage la même vision que le TASS d’Evry et, qui sait, la même ironie salvatrice à l’égard de la CIPAV qui n’a pas du tout apprécié son cadeau de Noël venu de l’Essonne, en en faisant immédiatement appel.

Il est probable que la CIPAV ne partage pas l’impatience de la Cour d’appel à voir juger de nouveau cette affaire. De manière exceptionnelle, la Cour d’appel a souhaité refaire le Noël de la CIPAV dès son audience du 7 mars 2016. Espérons qu’à Pâques les adhérents de la CIPAV ayant subi de plein fouet la crise auront plus que des kleenex pour accueillir leur prochain appel de cotisation de retraite complémentaire.

Dimitri Pincent
cipav.actionjudiciaire@pincent-avocats.com