Chronique de septembre-octobre 2017

Quand le TASS mène au JEX

Que d’acronymes dans le labyrinthe de la procédure de sécurité sociale !

Vous connaissez certainement la « CRA » pour Commission de Recours Amiable, qu’il faut prononcer « CéRA » et non « CRA » utilisé plutôt comme charmant diminutif du très accueillant « Centre de Rétention Administrative », ce qui a assez peu de rapport.

La CRA de la CIPAV brille par sa prévisibilité. Si elle répond à la question posée - dans la majorité des cas en étant à côté de la plaque - il y a de grandes chances que soit un classique copier-coller.

En revanche, dès que vous sortez des sentiers battus, vous n’obtiendrez en récompense qu’un silence assourdissant qui souvent plonge le cotisant et sa question embarrassante dans l’oubli. Plutôt que de saisir le TASS d’une contestation de décision implicite de rejet, la tentation naturelle est de s’abîmer dans la vaine attente d’une décision qui n’arrivera jamais. Une manière d’éviter la judiciarisation des questions qui fâchent au rang desquelles figurent la rectification des points de retraite complémentaire d’un auto-entrepreneur, la production d’un relevé de situation individuelle, une omission d’affiliation, une affiliation tronquée, etc.

Si vous lisez ces chroniques écrites, vous connaissez bien le sens de l’acronyme TASS derrière lequel se cache un monde judiciaire romanesque capable de mélanger dans le même espace temps une contrainte de sécurité sociale de quelques milliers d’euros et le suicide d’un salarié au bout du rouleau (contentieux passionnant de la faute inexcusable).

Avec la CIPAV, d’aucuns savent que la CRA mène au TASS. Mais il est un juge au nom tout aussi excitant qui cache bien son jeu et se tient tapi dans l’ombre pour surgir en bout de course, souvent quand la situation du cotisant est désespérée. Il s’agit du JEX, pour « Juge de l’Exécution ».

Lorsque le JEX est saisi, le cotisant se trouve en état de capilotade avancé. Cela regroupe deux cas de figure où l’énervement le dispute toujours à l’incompréhension.

Premier cas, le plus fréquent : en examinant votre compte bancaire ou en recevant à votre domicile la visite d’un huissier, vous apprenez que vos comptes bancaires sont saisis par la CIPAV. Comment vous l’expliquez vous ?

Parfois, mais c’est rare tout de même, le cotisant n’a rien à se reprocher car une désaffiliation conjuguée à une série de déménagements l’a empêché de prendre connaissance d’une contrainte, qui finit donc non opposée et, par l’effet de la loi, produit les effets d’un jugement autorisant la caisse à pratiquer une saisie attribution de créances ou, lorsqu’elle n’a pas connaissance des coordonnées bancaires du cotisant, un commandement aux fins de saisie vente permettant d’appréhender les meubles au domicile.

La plupart du temps, c’est toutefois un cotisant qui a parfaitement connaissance de la contrainte mais, de rage ou par désinvolture – je ne le blâme pas, j’aurais tendance à faire pareil – transforme l’avis de passage en boulette de papier ou, dans un geste moins rageur, le classe à la verticale, ce qui revient au même. Cela a le mérite de soulager sur le moment mais de provoquer des explosions à retardement.

Bref, votre banquier vous regarde de travers et vous comprenez que soit vous perdez l’argent saisi, soit vous saisissez le JEX. C’est une autre procédure supposée être simple, mais qui s’accompagne d’une assignation par voie d’huissier et d’une double dénonciation (à l’huissier poursuivant et au tiers saisi), ce qui suggère que le législateur ne voulait pas vraiment faciliter l’accès au droit du saisi.

Soyons clairs sur les chances de succès de cette procédure dans laquelle vous êtes officiellement en demande mais où en réalité vous vous confrontez, sur la défensive, à la suspicion causée par votre image d’obstacle à l’exécution d’une décision de justice (la contrainte non opposée). Les prescriptions sont rares (trois années pour exécuter une contrainte), de même que les significations d’huissier irrégulières (dans le jargon on parle de « PV 659 vérolé ») donc vous la jouez plutôt perdant. Mais au moins le recours est-il suspensif et vous donne l’occasion à titre subsidiaire de solliciter des délais de grâce. La saisie peut ainsi être levée, avec possibilité de s’acquitter de sa dette sur deux années maximum.

Second cas de figure, qui a fait l’objet de trois illustrations par le JEX de Paris en octobre 2017.

Après avoir expérimenté la CRA et connu l’aventure du TASS avec succès, vous vous retrouvez à attendre l’exécution du jugement que vous avez obtenu et, ne voyant rien venir, vous entreprenez de harceler votre avocat en pensant qu’éventuellement il s’est endormi sur votre dossier.

Aussi incroyable que cela puisse paraître, la CIPAV peut se faire condamner sans que jamais l’institution ne pense à mettre en œuvre le jugement.

Dans les cas les plus faciles comportant une condamnation à payer (une indemnité de procédure, un trop versé de cotisations, des dommages-intérêts, etc.), le cotisant téméraire se passera du JEX en infligeant à la CIPAV une SAT (comprendre « saisie attribution de créances ») sur son compte bancaire. Si la CIPAV multiplie les SAT à l’encontre de ses adhérents dans une politique de recouvrement forcé aveugle reposant sur des postulats juridiques illicites (le plus fameux étant que les cotisations de retraite complémentaires ne se régularisent pas sur la base du revenu réel !), pourquoi le cotisant victorieux en justice devrait-il se calmer et attendre que le comptable public de la caisse – celui-là même qui s’est vu imputer la disparition de chèques de cotisations pour près d’un million d’euros et a validé le recouvrement forcé à l’encontre des victimes affiliées de ces mêmes cotisations – déclenche éventuellement un paiement après des mois de relances ?

D’ailleurs, j’annonce officiellement dans cette chronique la nouvelle politique de mon Cabinet : pour tout jugement exécutoire non exécuté par la CIPAV, la tolérance d’inexécution sera, sauf cas exceptionnels, limitée à deux mois. Deux mois nécessaires pour vérifier l’absence d’appel (le délai d’appel est d’un mois), récupérer la « grosse » du jugement (on dit comme cela pour la copie exécutoire d’un jugement) et la preuve de sa notification à la CIPAV. Après deux mois, ce sera une SAT.

Mais que faire si vous avez obtenu du TASS une condamnation de la CIPAV à une injonction de faire restée lettre morte ? La solution est là encore à trouver auprès du JEX. Par trois décisions du même jour, le JEX de Paris a ainsi fait droit en octobre à une demande de fixation d’astreinte en assortissant d’une sanction de 250 € par jour diverses condamnations de faire : produire un relevé de situation individuelle, liquider une pension de retraite complémentaire et rectifier un compte de cotisations impacté par la pitoyable affaire des chèques détournés de la CIPAV. Le JEX a accordé 1.500 € d’indemnité de procédure par personne.

Et si la CIPAV ne s’exécute pas après cela ? C’est simple : il faut réassigner devant le JEX pour faire liquider l’astreinte et demander une astreinte plus élevée !

Et oui, il faut être sacrément armé pour clore un dossier contre la CIPAV et dans des cas extrêmes, la justice n’est rendue qu’au débouché des stations CRA+TASS+JEX+reJEX !

Dimitri Pincent
cipav.actionjudiciaire@pincent-avocats.com