Chronique du 1er trimestre 2018

Procédures TASS : marre des délais !

Il existe une justice parfois plus lente que celle des prud’hommes : celle des TASS !

N’allez surtout pas accabler les magistrats et les greffiers de ce que votre procédure devant le TASS dure deux voire trois années. Ce sont les victimes au quotidien de cette situation, eux qui croulent sous les dossiers et ne disposent pas de moyens humains suffisants pour apurer le stock d’affaires. Mettez-vous plutôt à leur place : comment gérer une audience à 80 dossiers (par exemple à Lille, Metz, Rennes, etc.) avec différents organismes de sécurités sociale, et autant de représentants, dans le cadre d’une procédure orale anachronique faisant que toutes les affaires sont potentiellement instables ? Certaines affaires seront en état d’être plaidées. D’autres devront être renvoyées, avec ou sans calendrier de procédure, vers une nouvelle audience aussi surchargée où des problèmes identiques d’échange de pièces ou d’argumentaires tardifs se poseront de nouveau. Bref, avant la tenue de l’audience, impossible de prévoir, de gérer, de juguler. L’oralité de la procédure a ce triste inconvénient pour un magistrat de ne rien pouvoir gérer en amont. Il peut certes se débarrasser de quelques affaires en cours d’audience par le jeu habituel des radiations ou des caducités mais globalement il aura toujours un stock d’affaires significatifs qui finira par le suivre sur d’autres audiences, par le jeu de reports successifs et multiples, tel Sisyphe et son rocher !

Très sincèrement, aujourd’hui les risques psycho-sociaux paraissent bien élevés parmi les membres du TASS. D’autant que, disons-le, siéger au TASS requiert un niveau d’humanité plus élevé que la moyenne et un sens subtil de la psychologie pour gérer des situations humaines difficiles et il me semble une paupérisation croissante des justiciables se défendant souvent seuls, au risque d’une incompréhension mutuelle et d’une perte de temps considérable dans des explications basiques mais incontournables sur les règles du procès.

N’allez surtout pas imaginer qu’il s’agisse d’une chronique de commande à l’initiative pressante de tel Président du TASS ! Je n’ai pas pour habitude de jouer au flagorneur, surtout en matière judiciaire. Il faut en fait comprendre que chaque acteur du procès – même dans cette matière peu glamour de la sécurité sociale – justiciable, magistrat, assesseurs, greffier, avocat, pâtit des longueurs du procès, d’une manière ou d’une autre.

Qui est responsable ? L’Etat ! Responsable de négliger le budget de la justice en général (en 2016, la France consacrait 0,197% de son PIB à justice, la mettant au 37ème rang sur 45 des pays de l’OCDE). L’Etat encore responsable de faire accroire à la simplicité des procédures et du fond des dossiers devant les TASS alors que la matière est technique et les règles du procès insondables pour un non professionnel.

Voici quelques exemples de la situation explosive de la juridiction de sécurité sociale en France. A la Cour d’appel de Paris, Chambre de sécurité sociale (Chambre 6-12 pour les Tasseux), le délai d’audiencement doit être de trois années. La Cour avait récemment près de 6.000 en souffrance. Et les magistrates sont au nombre de... 3 ! Lisez 12.000 jeux de conclusions, écoutez 12.000 plaidoiries, à raison de deux parties, et rédigez 6.000 décisions de justice et vous aurez compris le défi surhumain que représente l’engorgement de la Cour.

Cela crée d’ailleurs des situations absurdes. Il peut y avoir des centaines de dossiers concernant la même problématique (par exemple les contraintes de sécurité sociale non motivées). Elles pourraient être jugées en même temps, lors d’audiences thématiques à l’issue desquelles la Cour façonnerait sa jurisprudence et la diffuserait aux TASS pour mise en œuvre conforme. Mais manifestement la Cour n’a pas le temps d’organiser cela, ce qui occasionnerait pourtant un gain de temps. En fait, il faudrait que la Chancellerie recrute un « juriste-logisticien » ou un « audienceur-ambianceur » afin de fluidifier le trafic ! Une Chambre 6-13 vient d’être créée en renfort mais pas sûr que dans l’immédiat les délais d’audience raccourcissent.

A Rennes, où à ma connaissance siège un Président unique, il faut attendre deux à trois ans pour voir soutenir sa cause. Et il vaut mieux recourir au dépôt de dossier et remettre à plus tard ses envies de plaidoirie frénétique au milieu d’une centaine d’affaires.

A quelques kilomètres de là, à Vannes, même problème, l’entrée du Tribunal de Grande Instance étant d’ailleurs ornée d’une banderole réclamant plus de moyens.

Que dire de Nice ou de Lyon ? Imaginez tout ce que vous pouvez faire en trois ans. Et bien le traitement d’un dossier, peut-être basique, devant ces TASS traversera allègrement cette durée.

Les TASS de Versailles et de Nanterre sont à peine moins pires.

Certes certains cotisants malicieux profiteront de la situation : en attendant, les demandes de paiement de cotisations dont ils font l’objet seront gelés, sans nouvelle pénalité ou intérêt de retard. Mais humainement, la plupart des justiciables espèrent que leur dossier sera traité rapidement, afin de passer à autre chose.

Parfois, les délais d’audiencement ne sont pas si longs mais le manque de moyens et la désorganisation se manifesteront en aval, lors de la notification des jugements. Par exemple, au TASS de Créteil, vous pouvez attendre six à huit mois la copie du jugement dont vous connaissez pourtant le résultat. A Bobigny, comptez quelques semaines aussi. Aux TASS de Lille et de Créteil, nous avons même des jugements qui n’ont jamais été notifiés ! Soit parce c’est le jugement d’une autre affaire qui a été notifié à l’intéressé, par une malheureuse interversion (un exemple à Créteil), soit parce que le jugement s’est perdu dans les limbes (un exemple à Lille). Si d’ailleurs vous voulez joindre au téléphone le TASS de Lille, c’est peine perdue, le TASS n’ayant plus les moyens d’assurer un standard. Une situation pareille dans n’importe quelle société privée entraînerait un droit de retrait des salariés concernés.

Que faire alors ? Certainement donner un signal à l’Etat, même s’il sera insuffisant. Un délai déraisonnable de procédure entre l’introduction du recours et la notification de la décision (au-dessus d’une année à mon sens) équivaut à un manquement au procès équitable au sens de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. On parle ainsi de « déni de justice ». L’Etat doit répondre de ce dysfonctionnement.

Les médias avaient un peu parlé il y a quelques années de vagues de procès contre l’Agent judiciaire du Trésor (représentant de l’Etat) pour obtenir réparation des délais déraisonnables des procédures prud’homales (en droit du travail donc devant le Conseil de Prud’hommes puis la Cour d’appel). Les indemnisations judiciaires oscillent entre 1.000 € et 10.000 € selon les cas (décisions de la Première Chambre du Tribunal de Grande Instance de Paris).

A ma connaissance, aussi bizarre que cela puisse paraître, ces procédures n’ont pas été initiées s’agissant des TASS. Elles n’inspireraient pas les « Tasseux » ? Or certains TASS sont plus lents que le Conseil de Prud’hommes de Bobigny !

Un nouveau chantier judiciaire s’ouvre donc. A chaque procédure devant les TASS démunis de moyens et de ce fait peu prompts à solutionner un dossier, répondra une action annexe devant le Tribunal de Grande Instance de Paris en dédommagement.

Avec un peu de chance, les magistrats des TASS applaudiront autant que les justiciables, pour qu’enfin les choses bougent dans cette justice sinistrée.

Dimitri Pincent
cipav.actionjudiciaire@pincent-avocats.com