Chronique de janvier-février 2017

Oubliés de la CREA puis de la CIPAV : la Cour d’appel de Paris fixe le mode de réparation

Dans la vingtaine de pages consacrées à la CIPAV dans son rapport public 2017, la Cour des comptes s’émeut pour la première fois à notre connaissance du sort des 6.500 affiliés à la CREA disparue en 2001 qui, sans s’en rendre compte, n’ont pas été inscrits à un régime d’assurance vieillesse de base générateur des trimestres d’assurance nécessaires au bénéfice d’une retraite une fois atteint l’âge pivot (note en bas de page 288).

Depuis plusieurs années, le Défenseur des droits dénonce auprès des pouvoirs publics, mais en vain, ces « oubliés de la retraite » qui restent pour la plupart dans l’ignorance de la privation future, partielle ou totale, de la pension de retraite afférente à leur carrière d’artiste. Par un bug dont le système cafouilleux des régimes pléthoriques de l’assurance vieillesse en France a le secret, 6.500 personnes ont cru régler, certains pendant trois décennies, des cotisations d’assurance vieillesse de base à la caisse de retraite CREA lorsqu’ils s’honoraient en fait uniquement de cotisations de retraite complémentaire. En fait, la CREA n’appelait pas à leur égard des cotisations de retraite de base, seules génératrices de trimestres d’assurance, mais des cotisations de retraite complémentaire sur un régime qu’elle avait dénommé « IRCEC ».

En 2004, la CREA a disparu et c’est la CIPAV qui est venu aux droits de la CREA et devait à ce titre reprendre les comptes de cotisations de ces 6.500 personnes, sur deux régimes obligatoires : la retraite de base et la retraite complémentaire.

Malheureusement, la bévue perdure toujours pour certains, car au même moment l’IRCEC était doté de la personnalité morale et gérait désormais la retraite complémentaire de tout ou partie de ces 6.500 personnes, qui restaient donc exclus d’un régime de retraite de base...

L’une d’elle voudrait-elle partir en retraite en 2017 ? Elle serait alors bien en peine d’abord d’identifier sa caisse de retraite principale du régime de base, l’IRCEC étant exclusivement une caisse de retraite complémentaire. Après quelques recherches, elle comprendrait certainement que la caisse dont elle relève se trouve dans le même immeuble que l’IRCEC : c’est la CIPAV. La réponse de cet organisme risque d’être traumatisante pour l’intéressé : « nous ne vous connaissons pas / vous n’avez acquis aucun trimestre / vous ne pouvez prétendre à aucune pension de retraite de base au titre d’une activité libérale ».

La Direction de la Sécurité Sociale et la CIPAV ayant affiché la plus parfaite indifférence sur ce dossier, il ne reste plus qu’à l’intéressé à se tourner vers la justice.

Dans la chronique du TASS d’avril 2016 (« L’IRCEC et la CIPAV : les caisses-sœurs qui ne communiquent pas »), nous vous avions annoncé que la Cour d’appel de Paris allait statuer sur un dossier de ce type début 2017, ce qui est advenu en février.

La Cour a retenu la faute de la CIPAV concernant le régime de retraite de base en condamnant la caisse à reconstituer gratuitement le compte de cotisations de l’intéressé lui permettant de bénéficier de la liquidation de sa pension de retraite de base, sans avoir donc à payer les cotisations correspondantes.

Dans notre opinion, il s’agit de l’unique mesure réparatrice envisageable. Elle peut impliquer l’allocation de dommages-intérêts significatifs (le montant des cotisations de retraite de base impayées) de plusieurs dizaines de milliers d’euros, à l’aune de la longévité de la carrière libérale et du niveau de revenus.

Cela va nécessairement créer un déficit pour la CIPAV puisqu’elle se retrouverait à payer des pensions de retraite de base non financées auparavant par le paiement de cotisations et ce pour les 6.500 pensionnés concernés. Reconstituer la carrière examinée par la Cour d’appel de Paris 6.500 fois aboutirait à un déficit estimé à 260 millions d’euros.

Quid du régime complémentaire de ces 6.500 personnes ?

Deux théories s’affrontent.

La première, qui nous paraît la plus orthodoxe juridiquement, consiste à condamner la CIPAV à liquider la pension de retraite complémentaire sur son régime complémentaire obligatoire, quitte à lui transférer le montant des cotisations versés sur ce régime d’abord à la CREA puis à l’IRCEC.

En effet, depuis 2004, la CIPAV devait en principe récupérer l’affiliation des artistes non auteurs et régir ainsi non seulement leur retraite de base mais aussi leur retraite complémentaire, à l’exclusion de l’IRCEC. Dans ces conditions, la CIPAV ne doit-elle pas répondre d’une faute dans l’absence de récupération du compte de cotisations de retraite complémentaire ?

La Cour d’appel lui a préféré la seconde théorie. Elle a retenu que l’IRCEC avait dans les faits géré la retraite complémentaire de ces personnes à compter de 2004 et, sans s’interroger sur la conformité de ce transfert, a invité l’intéressé à liquider sa pension de retraite complémentaire auprès de l’IRCEC.

Juridiquement, c’est assez contestable. Dans la pratique en outre, il serait aisé pour l’IRCEC de virer à la CIPAV les cotisations payées au titre du régime complémentaire (à l’insu des affiliés de la CREA qui pensaient régler une cotisation de retraite de base) car ces deux caisses appartiennent encore à l’association de caisses dénommée GROUPE BERRI et siègent à ce titre dans le même immeuble.

Concrètement, comment les 6.500 personnes lésées dans cette affaire peuvent- elles agir ?

Faudra-t-il que chacune d’elle saisisse individuellement le TASS de son domicile, épaulé par un avocat, pour solutionner son dossier personnel d’une technicité évidente, notamment sur son volet de l’exécution de la décision de justice qui implique le contrôle d’une reconstitution conforme de la carrière ? En l’état oui.

Il serait ainsi de nécessité publique que le prochain pouvoir en place ouvre l’action collective (class action) au secteur de la sécurité sociale ou en tout cas des retraites. Quelques personnes pourraient ainsi porter le dossier des 6.500 victimes. Mais vu la frilosité ambiante, dénoncée notamment par le livre La retraite en liberté du Pr BICHOT (Cherche- Midi, janvier 2017), il est assez peu probable que la France se dote d’un tel outil efficace correctif, tout comme il paraît vain d’attendre une réforme systémique des régimes de retraite dans un futur proche.

En l’état de la jurisprudence, nous conseillons aux intéressés d’agir en justice avec l’assistance d’un avocat après avoir liquidé leur pension de retraite complémentaire auprès de l’IRCEC pour tenter d’obtenir en justice, non seulement le rétablissement de leurs droits sur le régime de base mais également, à titre d’indemnisation complémentaire, en capital, la différence entre la pension de retraite complémentaire de la CIPAV et celle, inférieure, servie par l’IRCEC.

Pour éviter les crises d’angoisse, les plus prévoyants auraient tout intérêt à faire rétablir leurs droits avant leur départ en retraite.

Dimitri Pincent
cipav.actionjudiciaire@pincent-avocats.com